ITEANU Blog - Vie des TribunauxDroit, technologies, etc.2023-11-20T08:18:24+00:00urn:md5:ec1221ef55f14df16cf54acb67b74524DotclearAudience en visioconférence, le Tribunal de commerce de Paris montre la voieurn:md5:52629ad6ee248f9109a33ceae69d71e32020-05-06T15:55:00+01:002020-05-06T15:55:00+01:00Olivier IteanuVie des TribunauxdématérialisationGoogle<p>Ce 30 Avril 2020, en plein confinement et crise sanitaire et alors que les Tribunaux de commerce sont fermés, le Président du Tribunal de commerce de Paris rend pourtant une <a href="https://www.legalis.net/actualite/100-000-e-dastreinte-pour-retablir-les-adwords-pour-le-118/" hreflang="fr" title="Site legalis.net">décision</a> dans laquelle Iteanu Avocats est intervenu.<br />
<br />
Il s'agit d'un litige portant sur le service Google Ads.<br />
<br />
Iteanu Avocats assiste cinq sociétés numériques qui s'opposent aux Sociétés Google France et Irlande.<br />
<br />
Les plaidoiries se sont tenues huit jours plus tôt, mais sans déplacement, ni transport d'aucune sorte, en visioconférence.<br />
<br /></p> <p><br />
Cette façon de faire est suffisamment rare pour la signaler et il convient de rappeler dans quel contexte elle intervient et selon quelles modalités.<br />
<br />
La visioconférence a été acceptée par le tribunal, aux vues du degré d'urgence de l'affaire.<br />
<br />
L'affaire avait été engagée quelques semaines plus tôt, avant confinement, dans le cadre d'un référé dit d'heure à heure.<br />
<br />
Avant confinement et fermeture du Tribunal, le Président du Tribunal de commerce avait ainsi autorisé les demanderesses à engager cette action en référé d'heure à heure par voie d'ordonnance, "aux vues de l'urgence" alléguée par les demanderesses.<br />
<br />
Dans l'ordonnance finalement rendue, le Président rappelait le cadre dans lequel cette audience en visioconférence intervenait :<br />
<br />
<q></q>En application de l’article 7 de l’ordonnance no2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, les parties ont été invitées à comparaître devant Monsieur Laurent Levesque, président, à l’audience du 22 avril 2020 à 11h, qui s’est tenue en visioconférence via la plateforme <a href="https://www.tixeo.com/visioconference-securisee/" hreflang="fr" title="Site Web Tixeo">Tixeo</a>. Un procès-verbal des opérations effectuées est dressé par le greffier.<q></q><br />
<br />
<br />
<br /></p>
<ol>
<li>1. De nouvelles pratiques à imaginer<br /></li>
</ol>
<p><br />
Le Greffe du Tribunal de commerce de Paris, omniprésent, très concentré sur la réussite de l'audience en visioconférence, prenait la peine quelques jours plus tôt et avant l'audience en visioconférence, de convoquer les Avocats plaidants "en ligne", de façon à procéder à un test sur la plateforme Tixeo.<br />
<br />
Le test était concluant.<br />
<br />
Le Tribunal avait en effet fait le choix de cette plateforme Tixeo, à technologie française certifiée CSPN et qualifiée par l’<a href="https://www.ssi.gouv.fr/en/" hreflang="fr" title="Site Web de l'ANSSI">ANSS</a>I (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information).<br />
<br />
Le Greffe allait également demander aux Avocats d'adresser quelques jours avant l'audience, leurs dossiers de pièces et leurs dernières conclusions, prioritairement sur une plateforme de stockage informatique (drive) indépendante et opérée par une société hollandaise, chaque Avocat pouvant également adresser ces dossiers sur support papiers à l'adresse du magistrat. Le Greffe précisait d'ailleurs dans son message, que la communication par voie électronique était préférée.<br />
<br />
Les deux Cabinets d'Avocats choisissaient cependant de communiquer leurs dossiers en mode électronique et sur support papier, ce dernier support permettant de mieux circuler au milieu de plusieurs dizaines de pages de courriers, courriels, copies d'écrans, procès-verbaux d'Huissiers, décisions de jurisprudence, actes de procédure etc. ...<br />
<br />
<strong>Le numérique est sans limite, mais pas l'homme ...</strong><br />
<br />
Contrairement à une idée répandue, la technophilie n'appelle pas le tout numérique. Elle appelle à utiliser les technologies de manière harmonieuse et avec les limites qui sont imposées à l'être humain.<br />
<br />
<br />
<br /></p>
<ol>
<li>2. Les premières leçons à tirer<br /></li>
</ol>
<p><br />
<br />
Au final, l'affaire était plaidée sans incident majeur, dans des salles de conférence manifestement improvisées : le Président quelque part dans un bureau, le Greffier quelque part dans un autre bureau, les Avocats regroupés de leur part dans des bureaux distincts, le tout en mode galerie.<br />
<br />
A départ de l'audience, chaque Avocat était appelé à produire sa carte professionnelle face à l'écran, de façon à ce que soit constaté par le Greffier son identité.<br />
<br />
Les débats se déroulaient ensuite pour se clôturer après que chacun ait eu le temps de faire valoir ses moyens, le Président le temps de poser ses questions, les Avocats d'y répondre.<br />
<br />
Au final, avec un peu d'imagination, un Greffe et un Tribunal impliqués, une technologie a minima sécurisée et des pratiques entre les uns et les autres qui se forgent, la visioconférence a démontré ici qu'elle pouvait contribuer à ce que la Justice se fasse.<br />
<br />
Bien sur, il n'est pas question qu'elle remplace l'audience ordinaire, celle où l'intonation de la voix, les mouvements et le langage du corps, le contact direct entre hommes et femmes, participent d'une justice pleinement humaine.<br />
<br />
Mais du point de vue de l'Avocat, conseil de ses clients certes, mais aussi auxiliaire de justice, l'audience en visioconférence aura montré qu'elle est capable d'apporter quelque chose à l'oeuvre de justice, dans des situations particulières ou extrêmes.<br />
<br />
Elle permet ainsi et aussi, de convaincre et de trancher un litige.<br />
<br />
La justice se trouve non pas dépossédée de ses pratiques ancestrales, mais enrichie d'un nouvel outil.<br />
<br /></p>L’algorithme ne sera pas mon jugeurn:md5:3db13e8d93a43966065a4dc32920e9d12019-09-24T21:23:00+01:002019-09-25T12:55:10+01:00Olivier IteanuVie des Tribunaux<p>Legaltech, intelligence artificielle, dématérialisation, etc. … Au fur et à mesure que la société toute entière bascule sur ou autour des réseaux numériques, phénomène que l’on nomme la transformation numérique, les algorithmes se multiplient et peuplent le quotidien du citoyen.<br />
<br />
En particulier, on voit se développer une offre de logiciels dits de justice prédictive, basée sur des algorithmes.<br />
<br />
A partir de la collecte des décisions de justice déjà rendues, et de leur comparaison, ces logiciels prétendent anticiper le résultat attendu d’un procès à venir, sur la base d’algorithmes intégrés dans le phénomène plus large dit de l’intelligence artificielle. <br />
<br />
La définition de l’algorithme retenue par Wikipedia est la suivante: « <em>un algorithme est une suite finie et non ambiguë d’opérations ou d'instructions permettant de résoudre une classe de problèmes</em>. »</p>
<p>L’ordinateur exécute ensuite l’algorithme ce qui aboutit à automatiser un certain nombre d’opérations.</p>
<p>Dans ces conditions, l’algorithme peut-il aboutir par la voie d’opérations automatisées, à rendre un jugement en lieu et place d’un juge fait de chair, de sang et doté d’une âme ?</p> <p><strong># A Le fantasme de la Justice prédictive<br /></strong>
<br />
<strong># .1 Une justice sans contexte n’est pas possible<br /></strong>
<br />
La clause de non concurrence insérée au contrat de travail d’un salarié en droit français, interdit à ce dernier d’être employé du concurrent de son actuel employeur, une fois qu’il l’aura quitté.<br />
<br />
Parce qu’à la fois elle est une atteinte à la liberté du travail, droit constitutionnel reconnu à tout citoyen, et qu’en même temps elle défend les intérêts légitimes de l’entreprise, depuis 1945 la jurisprudence a admis par principe la validité d’une telle clause insérée au contrat de travail, mais en posant trois conditions à sa licéité.<br />
<br />
La clause devait être limitée dans le temps, dans l’espace et quant à la fonction concernée. <br />
<br />
De jurisprudence constante pendant cinquante ans, les tribunaux ont fait application systématique de cette doctrine. En particulier, ils ont toujours refusé d’y associer une quatrième condition, à savoir que la clause serait licite seulement si elle était rémunérée.<br />
<br />
Aussi, sauf pour quelques Conventions Collectives, les clauses de non concurrence insérées aux contrats de travail, y compris celles rédigées par les Conseils et Avocats, ne prévoyaient pas sa rémunération.<br />
<br />
Le 2 Juillet 2002, par un revirement spectaculaire, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation décidait que la condition de rémunération serait désormais la quatrième condition posée à la licéité de la clause de non concurrence au contrat de travail.<br />
<br />
En quelques secondes, la Cour de cassation anéantissait cinquante années de jurisprudence constante.<br />
<br />
Surtout, cette décision de la plus haute juridiction française rendait nulle des centaines de milliers de clauses rédigées par les justiciables éventuellement assistés de professionnels du droit, qui ne prévoyaient pas une telle rémunération.<br />
<br />
Ce cas d’un revirement total d’une solution à un litige, n’est pas isolé et il est une illustration évidente de l'argument qui réfute la justice prédictive par l'algorithme.<br />
<br />
<br />
Il se comprend par le fait que le droit se dit dans un contexte auquel les juges sont sensibles. Ce contexte est de plus en plus souvent le résultat d’une actualité. Ce contexte peut pousser la Justice à évoluer voire à prendre des décisions exactement contraires à celles prises de manière constante pendant des années.<br />
<br />
L’algorithme prend des décisions sur la base d’un énoncé du problème, de statistiques, qui ne peut tenir compte d’éléments aussi irrationnels que le ressenti des juges et leur sensibilité au contexte et à l’actualité.<br />
<br />
<br />
<strong># .2. Le droit c’est d’abord … le fait <br /></strong>
<br />
La justice française et de droit continental sont fondées sur un raisonnement appelé le syllogisme.<br />
<br />
Le juge français raisonne par la voie du syllogisme, c’est-à-dire comme les philosophes, en trois étapes et de manière déductive.<br />
<br />
Le juge doit d’abord déterminer le fait qui lui est soumis. Dans un litige, le plus souvent, chaque partie au procès à sa version des faits. <br />
<br />
En fonction des preuves qui lui sont rapportées, de sa propre appréhension des faits, le juge doit déterminer quel est le fait auquel il est lui est demandé d’appliquer la Loi. C’est la partie probablement la plus difficile, la moins apprise de manière académique, de son travail.<br />
<br />
Une fois les faits établis, le juge leur fait correspondre la Loi applicable.<br />
<br />
Il restitue ainsi la solution au litige, qu’il tranche au nom du peuple français.<br />
<br />
Ainsi donc, le jugement et le droit dépendent du fait tel que rapporté, plaidé par chaque partie, demandeur et défendeur. Ceci explique d’ailleurs pourquoi, il peut arriver que deux juges prennent dans deux affaires différentes et en apparence semblables, deux décisions différentes voire contraires. Sans compter que notre système peut admettre que deux juges prennent des décisions opposées, jusqu’à ce que la Cour de cassation les unifie.<br />
<br />
Comment un algorithme pourrait il faire la part des choses entre deux versions de faits qui s’affrontent ?<br />
<br />
<br />
<strong># .3. L’erreur humaine plutôt que le bogue<br /></strong>
<br />
Enfin, la justice n’est pas infaillible. C’est d’autant plus vrai qu’elle est humaine.<br />
<br />
Un Tribunal peut avoir été conduit dans l’erreur par mauvaise compréhension du litige ou préjugés.<br />
<br />
L’algorithme n’est pas non plus infaillible.<br />
<br />
Une erreur de programmation a pu l’affecter (bogue en français ou bug en anglais) de même qu’une panne (panne matérielle, de réseau, de l’environnement technique etc. …), voire une cyberattaque.<br />
<br />
Dans le second cas, il s’ajoute que les parties pourraient ne pas la détecter.<br />
<br />
<br />
<strong># B. L’algorithme comme aide à la décision<br /></strong>
<br />
L’algorithme et son expression la plus connue à ce jour, l’intelligence artificielle, est capable d’une puissance de calcul bien supérieure à l’homme, c’est certain.<br />
<br />
Aussi, au moment de prendre la décision, par exemple d’engager ou pas une action en fonction de la jurisprudence existante ou de la Doctrine universitaire sur le sujet du litige, une partie et son conseil pourraient recourir à un service d’intelligence artificielle qui lui restitue un avis documenté très étoffé.<br />
<br />
C’est son principal apport, l’algorithme va largement améliorer la prévisibilité des décisions de justice.<br />
<br />
Il est également vrai qu’avec le numérique, les réseaux numériques et internet, l’open data (accès libre et gratuit aux données), la diffusion du savoir juridique au public s’est très largement améliorée. Cette diffusion n’est plus limitée aux cercles fermés des professionnels du droit, elle est désormais accessible à tous. C’est un progrès certain qui va sans doute s’accélérer avec l’intelligence artificielle.<br />
<br />
Ces entreprises qui entendent occuper ce marché sont appelées « legal techs ».<br />
<br />
Cependant, nous voyons trois limites à cette aide à la décision automatisée et massive :<br />
<br /></p>
<ul>
<li>Dans l’exemple que nous donnons en 1.1., sur la clause de non concurrence et le revirement jurisprudentiel de la Cour de Cassation, il s’est trouvé une partie à un litige et son Avocat pour, en dépit d’une jurisprudence constante et de longue date, exactement contraire à la solution finalement choisie par la Cour de cassation, tenter de renverser la solution statistiquement proche de 100%, autant devant le Conseil des Prud’hommes, que la Cour d’appel voire la Cour de cassation.</li>
<li>Les objectifs d’une partie à un litige sont le plus souvent de gagner le procès et de faire gagner sa thèse. Cependant, d’autre motifs peuvent exister comme de gagner du temps, pousser l’adversaire à l’accord au regard des frais et du temps à engager etc. … Dans ces derniers cas, la prévisibilité d’un procès est au final de moindre importance</li>
<li>Enfin, le droit s’est complexifié, les matières s’entrechoquent (ex. propriété intellectuelle et droit de la concurrence), de sorte que même statistiquement, il est difficile d’anticiper une décision de justice.<br /></li>
</ul>
<p><br />
<br />
<strong>En conclusion</strong>, il est certain que le développement des outils numériques au travers de l’intelligence artificielle et des algorithmes, vont un peu plus bouleversés la pratique des professionnels du droit et des juges.<br />
<br />
Mais c’est une évolution débutée il y a 20 ans qui ne fait que s’accélérer, et non un phénomène nouveau.<br />
<br />
La ligne rouge à cette évolution attendue, reste à notre sens que la justice reste une activité sous contrôle humain. La libre appréciation des juges, le fait qui détermine l’application du droit, ne peuvent être confiés à des machines.<br />
<br />
La Loi informatique et libertés du 6 Janvier 1978 dans sa rédaction d’origine comportait un article 2 désormais inséré à l'article 47 de cette Loi (merci à @GeorgeonT): « <em>aucune décision de justice impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé d’informations donnant une définition du profil ou de la personnalité de l’intéressé</em>. »<br />
<br />
Tout est dit.</p>Le gendarme est en balladeurn:md5:e1b015b927d8a58ae5c218cad648beb32019-07-24T18:13:00+01:002019-07-24T18:13:00+01:00Olivier IteanuVie des Tribunaux<p>C’est une affaire rare que le Conseil d’Etat nous a donné à connaître dans une <a href="https://www.legalis.net/jurisprudences/conseil-detat-7eme-ch-decision-du-24-avril-2019/" hreflang="fr" title="Legalis.net">décision rendue le 24 avril 2019.</a> <br />
<br />
Un Capitaine de gendarmerie a été sanctionné de quinze jours d’arrêts pour avoir consulté «<em> les fichiers de gendarmerie</em> » de manière illégale. <br />
<br />
Ces consultations illicites portaient sur l’employeur de sa fille ainsi que sur des membres de sa famille. Au total, ce Gendarme qui n’était pas de Saint-Tropez mais du centre opérationnel de la gendarmerie de Rouen, aurait reconnu avoir consulté sans justification plus de trois cent fiches individuelles de citoyens.<br />
<br />
Le Gendarme ayant contesté la sanction, après avoir reconnu les faits durant l’enquête, les juridictions administratives ont été saisies de ce recours, qui aboutit à cette décision inédite de la plus haute des juridictions de l’ordre administratif de l’Etat de droit français.<br />
<br /></p> <p><strong>Le LOVINT, un phénomène mal connu mais bien réel</strong><br />
<br />
<br />
On pense toujours à protéger les données personnelles que l’on détient régulièrement, de la consultation ou de l’extraction par des tiers extérieurs à l’organisation auquel on appartient et non autorisés. <br />
<br />
L’esprit des Lois depuis la première loi informatique, fichiers et libertés de 1978 et plus récemment du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679" hreflang="fr" title="EUR Lex">RGPD</a> est très grandement tourné en particulier dans ses dispositions relatives à la confidentialité et à la sécurité des données, vers l’organisation de la protection contre ces accès et consultations illicites.<br />
<br />
Pourtant, en matière de cybercriminalité, chacun sait que les premiers abus d’accès et de consultations aux traitements, viennent de l’intérieur. <br />
<br />
Il est tout à fait humain et tentant, de consulter la fiche de son voisin avec lequel les relations ne sont pas toujours au beau fixe.<br />
<br />
On peut aussi s’amuser à consulter des fiches de célébrités. On peut aussi rendre un service, gratuit ou … payant.<br />
<br />
Après tout, c’est si facile et ça ne semble pas si « méchant » et c’est très valorisant.<br />
<br />
Du point de vue du responsable du traitement, la pratique est un cauchemar. Il est en effet très difficile de prévenir de tels comportements, l’abus venant de l’intérieur c’est-à-dire de ceux connaissant intimement le fonctionnement du système et les règles de protection.<br />
<br />
A la NSA américaine , cette pratique a un nom. On l’appelle la LOVEINT par référence à l’usage par lequel on utilise son accès pour son partenaire amoureux, sa compagne ou son compagnon (Love) ou pas intérêts (INT comme interests).<br />
<br />
Dans son livre « Data and Goliath », Bruce Schneier évoque cette pratique illégale mais qui peut ne pas être sans conséquence pour les personnes concernées.<br />
<br />
Citant Edward Snowden et un audit de la NSA réalisé sur 12 mois entre 2011 et 2012, il révèle que cette pratique aurait été relevée durant cette période 2.776 fois sur les traitements de l’Agence nationale de la sécurité rattachée au département de la défense des Etats-Unis. Il ajoute que le chiffre devrait être bien plus important, car ces informations viennent de la NSA elle-même … <br />
<br />
Bien évidemment, plus le fichier est gros, plus le nombre de personnes autorisées à y accéder est important, plus le risque est grand de voir se développer le LOVEINT.<br />
<br />
Il n’y aucune raison que ce type de comportements se limite d’ailleurs aux fichiers publics, et on n’ose imaginer ce qui se passe dans certaines grandes entreprises d’outre Atlantique, aspirateurs de donnée à caractère personnel venant du monde entier et renfermant toutes sortes de renseignements. Ceux qui imaginent et entendent mettre en œuvre le "tous fichés", devraient constamment avoir à l'esprit cette réalité.<br />
<br />
<br />
<strong>Un phénomène difficile à contrer</strong><br />
<br />
<br />
En l’espèce, le capitaine de gendarmerie était manifestement spécialement habilité à accéder à certains fichiers de données personnelles sur un fichier dont le Conseil d’Etat se garde bien de donner des détails. <br />
<br />
Tout au plus sait-on qu’il s’agissait d’un « fichier de gendarmerie ».<br />
<br />
On peut penser que ce fichier comprenant des informations assez intrusives sur les personnes physiques qui s’y trouvaient recenser.<br />
<br />
Il est évident qu’un tel traitement ne peut être consulté à des fins personnelles.<br />
<br />
En droit, le point ne soulève aucune difficulté. La pratique consistant, même pour une personne habilitée à accéder aux données personnelles s’y trouvant, à les traiter pour une finalité autre que celle résultant de son habilitation, constitue un manquement aux principes fixés à l’article 5 du RGPD selon lesquels, notamment, il est interdit de traiter des données personnelles d'une manière incompatible avec les finalités pour lesquelles elles ont été collectées initialement.<br />
<br />
Ces manquements sont sanctionnés sévèrement.<br />
<br />
S’il est démontré que cette consultation illicite est la conséquence d’un manquement à une obligation de sécurité élémentaire ou à une non-conformité aux règles de l’art dans le domaine de la cybersécurité, une violation du privacy by design, le responsable de traitement, en l’espèce la gendarmerie, encourt une amende administrative prononcée par la CNIL pouvant s’élever jusqu’à 20.000.000 € ou jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent pour les entreprises.<br />
<br />
Mais le gendarme lui-même, en dehors de la sanction disciplinaire dont il a fait l’objet, pourrait voir sa responsabilité pénale engagée.<br />
<br />
En effet, l’article 226-21 du Code pénal dispose que :« <em>Le fait, par toute personne détentrice de données à caractère personnel à l'occasion de leur enregistrement, de leur classement, de leur transmission ou de toute autre forme de traitement, de détourner ces informations de leur finalité telle que définie par la disposition législative, l'acte réglementaire ou la décision de la Commission nationale de l'informatique et des libertés autorisant le traitement automatisé, ou par les déclarations préalables à la mise en oeuvre de ce traitement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende</em>. »<br />
<br />
C’est donc bien lui qui personnellement peut subir les foudres des juges correctionnels.<br />
<br />
Mais la difficulté n’est pas juridique. Elle est d’ordre pratique et du domaine de la preuve.<br />
<br />
Comment en effet déterminer qu’un ayant droit, celui qui dispose du droit d’accès à un traitement, a violé son principe de finalité lors d’une consultation ?<br />
<br />
Puisqu’il connaît les règles applicables dans l’entreprise dans ce domaine et la manière dont elles sont contrôlées et appliquées, il est le mieux placé pour contourner tous ces dispositifs.<br />
<br />
La parole est ici bien plus à la technique et à l’organisation qu’au droit.<br />
<br />
Elles seules sont capables de détecter la consultation douteuse qui donnera lieu à enquête et éventuellement à enquête. <br />
<br />
Dans la décision du Conseil d’Etat, aucune précision n’est ici apportée. Mais les juges administratifs constatent que le Capitaine de Gendarmerie, « <em>a reconnu lors d’une audition les faits</em> ». <br />
<br />
C’est donc bien en trois temps que les choses doivent s’organiser pour lutter contre le LOVINT. <br /></p>
<ul>
<li>Tout d’abord, il s’agit de mettre en place une éducation en interne, qui rappelle les limites du droit d’accès au traitement et à sa consultation. <br /></li>
<li>Ensuite, la construction de procédures préalables à l’accès qui sont censées interdire, à tout le moins, la consultation sauvage, doivent être élaborées. <br /></li>
<li>Enfin, l’énoncé de critères qui pourraient déclencher l’enquête, tels que l’heure de consultation, le volume de données consultées ou extraites, la fréquence des consultations, doivent être établis. <br /></li>
</ul>
<p><br />
Alors seulement, lorsque la preuve de l’illicéité du comportement aura été établie, le droit passera.</p>Dématérialisation ? Oui mais le problème c'est la « rematérialisation »urn:md5:4ebd2d95d86a82dbb558d2819b9667982007-12-12T17:21:00+00:002018-09-20T12:29:35+01:00Olivier IteanuVie des Tribunaux <p>Puis je dématérialiser tous mes documents papiers ? En d’autres termes, puis je les scanner et les détruire ? C’est la question que se posent aujourd’hui bon nombre d’entreprises et même de particuliers. Il faut dire qu’aujourd’hui la technique est mature. Elle autorise la dématérialisation facile, de grande ampleur et à petits coûts. Il est également vrai que les avantages de la dématérialisation sont multiples.</p>
<p>En premier lieu, la dématérialisation fait économiser de la place et donc des coûts. Les supports numériques accueillent aujourd’hui une quantité de documents que des salles entières ne pourraient contenir. Pour les entreprises, le coût de stockage du papier est un poste de dépense important. La dématérialisation présente l’autre avantage de faciliter l’accès à ses données archivées. Toute information est à portée de clavier selon des méthodes de classement de plus en plus sophistiqués et graphiques, là où le papier exigeait des délais longs pour retrouver l’information. Dématérialiser, c’est aussi faciliter la circulation de l’information : toute la société étant aujourd’hui en réseau, il est vrai que l’information dématérialiser peut emprunter les divers canaux de diffusion de l’information et circuler bien plus simplement que du temps du papier. Enfin, on y pense peu mais la dématérialisation améliore aussi considérablement les aspects sécurité de l’archivage. L’accès à l’information est mieux contrôlé, tracé. Mais dématérialiser ses documents est ce légal et surtout, si je dois produire demain en Justice ou auprès d’une administration une information pour me justifier ou faire valoir un droit, l’information dématérialisée est elle recevable par la Justice, les administrations ? Pour mémoire, la Loi impose des temps de conservation relativement longs des divers documents qui peuplent nos vies : c’est notamment 30 ans pour tout acte civil , 10 ans pour les commerçants , de 3 à 6 ans en moyenne pour l’administration fiscale. Que se passe t’il alors si le papier a été détruit et que seul une copie numérique peut être produite ? C’est en effet peut être ici que le bât blesse. Officiellement, depuis une Loi du 13 Mars 2000, il n’existe plus d’un point de vue légal de différence à faire entre les supports papiers et électroniques. Donc oui, la dématérialisation a été légalisée. Cette règle d’or a été introduite dans l’ancestral code civil français. L’article 1316-1 de ce code né du temps de Napoléon Ier, pose ainsi le principe : « L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier… ». En apparence donc tout va bien mais la fin de ce même article du code civil vient immédiatement troubler la quiétude du lecteur attentif car il ajoute « … sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. » C’est le juge qui va dès lors être amené à apprécier cette double réserve, al réserve relative à la conservation étant pour nous la plus complexe. En clair, si je produis un document dématérialisé et qu’une contestation est élevée par l’administration, mon adversaire dans le cadre d’un procès, sur la recevabilité de ce document, le juge va devoir trancher ce litige. Or, la Loi ne donne pas de considérations techniques ou organisationnelles qui vont guide le Juge pour qu’il dise si le document dématérialisé a été « conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». C’est au regard de ce risque que bon nombre d’entreprises, notamment les banques, ont renoncé à détruire les documents contractuels originaux de leurs clients à l’occasion de la dématérialisation et se contentent par exemple de dématérialiser et détruire les documents secondaires qui peuplent leurs dossiers, pièces d’identité, documents cadastraux dans les dossiers de prêts immobiliers, etc. … Pourtant, il existe des pistes pour réaliser une dématérialisation conforme à la Loi et la jurisprudence viendra probablement se prononcer en pratique et en détail sur ce sujet dans les prochains mois. Dès à présent, on peut fixer trois grands critères à respecter. Tout d’abord, en entreprise, la dématérialisation doit obéir à un processus méthodique et systématique décrit dans un document endossé par la direction. Ensuite, les technologies utilisées doivent obéir à des standards reconnus et si possible ouverts. Enfin, ces technologies doivent être mises en œuvre par des acteurs eux mêmes reconnus sur le marché et pérennes. Ces trois critères seront obligatoirement débattus devant un juge dans l’hypothèse où la réserve posée à l’article 1316-1 du code civil est soulevée. Dématérialiser c’est bien, mais le faire dans le cadre d’une démarche réfléchie, c’est mieux.</p>