La société évolue, son droit avec lui. Les dossiers contentieux présentés devant les Tribunaux comportent de plus en plus de pièces versées au débat judiciaire par les parties issues de l’identité numérique. Pour cause, les procès sont issus de faits ayant pris place en totalité ou en partie sur le réseau. Le salarié licencié au motif qu’il échangeait des emails en trop grande quantité avec l’extérieur, l’entreprise qui poursuit son client qui lui refuse le paiement d’une commande passée sur son site Web, la banque victime d’une tentative d’intrusion sur son site de banque en ligne etc. ….

Ces différents exemples posent un problème de taille pour le praticien du droit. Comment convaincre un conseil des prud’hommes, un tribunal de commerce, un tribunal correctionnel du bien fondé d’une prétention dont les éléments de preuve sont sur le disque dur d’un ordinateur, dans une boite à lettres électronique, dans le réseau ?

La difficulté n’est pas d’ordre juridique : la Loi n°2000- 230 du 13 Mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique a, en apparence, résolu tous les problèmes. Elle est venue modifier l’antique Code Civil Napoléonien en ajoutant une nouvelle disposition à l’article 1316 dudit Code selon laquelle « La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission. » Autrement dit, le législateur vient dire que toute preuve est admissible indépendamment de son support. C’est le principe dit de neutralité et non discrimination par rapport au support. Le juge ne peut rejeter par avance un email, une copie d’écran Web, une adresse IP au motif que la preuve est justement un email, une copie d’écran Web ou une adresse IP. Non, la Loi inverse le système : ces preuves sont par avance admissibles : en revanche, la preuve devra emporter la conviction du juge et il pourra la rejeter à une double conditions : d’abord parce que la pièce ne le convainc pas et il devra dire pourquoi, ensuite et corrélativement, en motivant son rejet. L’article 1316-1 du Code Civil vient d’ailleurs immédiatement poser une réserve d’ordre générale qui confirme la situation : « L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier (SIC), sous réserve (Re-SIC) que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité. ». Autrement dit, oui la preuve électronique = preuve papier, MAIS préparez vous à des batailles sur la force probante de l’élément électronique.

La conséquence de cette double disposition pour un plaideur est elle-même de deux ordres. Il devra tout d’abord apporter la preuve sous une forme familière au juge. Une impression papier d’un email, un journal de connexions commenté par exemples et il devra préparer, organiser et conserver la preuve de la preuve, c'est-à-dire la preuve que l’élément de preuve apporté authentifie la personne dont il émane et son intégrité. Il devra dès lors avoir organisé une sauvegarde du serveur de messagerie pour l’email ou du serveur de type firewall qui aura conservé le journal des logs, le tout étant opéré par un Huissier ou un Expert en informatique éventuellement agréé par une Cour d’Appel. La solution n’est pas donnée à tout le monde car elle a un coût et dans certains cas, le seuil de juridicité étant bas (petit litige), le recours à un Officier Ministériel ou à un Expert est un coût disproportionné par rapport à l’intérêt du litige.

L’adresse IP est au cœur de cette difficulté car c’est une preuve qui authentifie fortement l’identité d’un intrus ou d’une machine qui tente de s’introduire. En effet, l’adresse Internet Protocol est un numéro qui identifie de manière certaine un ordinateur. C’est une ressource rare de l’Internet standardisée et contrôlée par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN – en réalité plutôt l’IANA au sein de l’ICANN). Elle est donc une ressource sure en ce sens, qu’étant centralisée, il est aisé de savoir à qui a été attribuée telle adresse IP. Or, le statut de l’adresse IP est le même que pour toute preuve électronique : c’est bien a priori une preuve admissible devant un Tribunal français. Pour autant, rapporter l’existence d’une adresse IP laissée comme trace sur un serveur attaqué, nécessitera une sauvegarde du journal des connexions (logs) qui généralement enregistre cette information, l’établissement d’un rapport sous une forme familière à destination d’un juge, une explication complémentaire donnée par la partie elle-même ou mieux, un Expert, au juge pour attester que l’exploitation que le plaideur fait de l’information devant le Tribunal est juste.

Une organisation pour le plaideur et ses Conseils à mettre en place, à moins que demain, la justice … vienne au réseau. C’est sans doute là, la solution.