Le droit d’auteur est la création par la Loi d’un monopole légal décerné à celui qui fait acte de création. Le monopole se trouve ensuite dans le commerce juridique et peut être concédé ou cédé à des tiers. Il peut aussi être donné mandat à des ayants droits, de type Sacem, pour gérer ce monopole ou son démembrement, et notamment les défendre en Justice contre les tiers violateurs. Si on ajoute que l’ensemble du dispositif bénéfice d’une protection par la Loi qui sanctionne les personnes qui ne respectent ces droits des peines maximales de trois ans de prison et 300.000 euros d’amende, on a fait schématiquement le tour de la question. Le débat actuel sur la Loi Hadopi tendant à créer hors des tribunaux, c’est à dire hors de l’Etat de droit, un régime de sanctions administré et contrôlé par ceux qui ont un intérêt direct à la sanction , les ayants droits, est une entorse grave à cet Etat de droit. Il suscite de surcroît une inquiétude tout à fait légitime sur le fichage généralisé qu’il va générer dans la population.

Mais pour dépasser cette actualité qui est toujours l’effet d’une cause qui se trouve ailleurs, et au final mieux la comprendre, allons là où les promoteurs d’Hadopi veulent nous amener : le droit d’auteur est il pour l’innovation ?

Premier constat : le droit d’auteur n’a pas toujours existé. Il est même d’existence très récente. Tout historien sérieux reconnaît qu’on n’en trouve trace ni dans l’Antiquité ni au Moyen-âge. Les partisans de la thèse opposée font simplement valoir qu’on a repéré dans tel texte ancien que tel parchemin, peau de bête travaillée par l’homme, avait été vendue plus que le prix du support et qu’ils y voyaient là, la preuve de l’existence d’un droit d’auteur. La démonstration paraît courte et plus du domaine de la mythologie voire de l’idéologie que de la réalité. Plus encore, on remarque à ces époques, un très grand nombre de textes anonymes qui démontrent que pour les auteurs de cette époque, la question d’un droit exclusif et de son respect leur était tout à fait étranger.

C’est l’apparition de l’imprimerie au XVIème Siècle de notre ère qui allait provoquer un enchaînement de réactions juridiques. Ce sont alors des rois ou des princes qui vont accorder de manière totalement arbitraire, le plus souvent à des imprimeurs (libraire), des « privilèges » dans le but de protéger leurs investissements, leurs outils de productions. Autrement dit, c’est l’activité économique et non l’acte de création qui était ici protégé dans ce qui semble bien être l’ancêtre du droit d’auteur. C’est par un arrêt du conseil du roi du 30 août 1777 que la défense de l’auteur apparaît très explicitement. Le préambule de la décision reproduit une lettre de Louis XVI du 6 septembre 1776 : « Sa Majesté a reconnu que le privilège en librairie est une grâce, fondée en justice et qui a pour objet si elle est accordée à l’auteur de récompenser son travail, si elle est accordée au libraire de lui assurer le remboursement de ses avances et l’indemnité de ses frais ». La révolution française abolira ces privilèges comme les autres le 4 août 1789. Deux ans plus tard, c’est le promoteur de la liberté du commerce, le fameux Le Chapelier qui introduira la notion de propriété littéraire mais pour tout de suite y voir un quasi bien public. Ce n’est qu’au XIXème Siècle que le droit d’auteur tel que nous le connaissons actuellement, prendra son essor. D’abord en jurisprudence puis seulement au XXème Siècle par une Loi du 11 Mars 1957 qui constitue toujours le socle désormais codifié, de notre droit.

Comme on le voit donc, le droit d’auteur n’est pas un droit naturel qui s’est imposé dès l’origine des temps. Même en son absence, l’humanité a pour autant progressé, la création s’est exprimée. Le droit d’auteur tel que nous le connaissons, n’est au final apparu que lié à des techniques de reproduction nouvelles, en l’occurrence l’imprimerie, et en réaction à une législation économique qui tendait à happer le travail de l’auteur en accordant des privilèges à des commerçants.

On le voit bien aussi, la naissance des droits d’auteur ne s’est pas imposée d’elle même. Elle est liée à un contexte économique et technique particulier. Or, ce contexte a changé. L’interconnexion des uns avec les autres au moyen d’Internet, le développement du numérique en ligne et hors ligne qui l’accompagne, la capacité toujours plus grande des équipements qui stockent et transfèrent des contenus, est une réalité que les défenseurs d’Hadopi ne veulent pas voir.

Face à ces évolutions des paradigmes, la société s’organise autour et sur les réseaux numériques tout entière, devenant ainsi une société de l’information. Le besoin d’un partage de l’intelligence devient une nécessité. On parle alors de gestion du capital immatériel, des informations, du monde libre et de l’open source.

En bref, si on veut sauver le droit d’auteur, il faut sortir du dogme qui fait de tout utilisateur un contrefacteur et réorganiser le lien social et économique tissé autour de cette technique juridique pour donner aux auteurs le moyen de rentrer de plain-pied dans la société de l’information en cessant de criminaliser ses propres lecteurs, ses propres utilisateurs, clients, auditeurs, spectateurs. Le droit d’auteur doit réserver les fruits d’une exploitation commerciale ou économique à son auteur en abandonnant l’idée de criminaliser tous utilisateurs à qui on a donné les moyens d’utiliser, d’échanger.

Louis XVI avait compris qu’un nouveau contexte économique et technologique exigeait une évolution des normes régissant la société et c’est pourquoi, il a lancé le coup d’envoi de la promulgation des droits d’auteur modernes.

Le législateur d’aujourd’hui devrait aussi comprendre qu’un nouveau contexte économique, et technologique exige une nouvelle évolution législative plutôt que l’entêtement dans un système ancien et dépassé.

Si Louis XVI l’avait compris ….