Internet et l’argent ? Un couple qui ne va pas de soi : la gratuité est l’un des mythes fondateurs du réseau des réseaux. Ses fondateurs ont toujours mis en avant l’esprit d’échanges, de coopération qui caractérisait selon eux, la nouvelle société de l’information. Mais l’Internet, chacun le sait, nécessite au minimum des accès, des débits de plus en plus importants, des matériels de plus en plus en plus puissants, des logiciels souvent propriétaires etc. …

Alors que nous nous trouvions récemment dans un colloque en Roumanie à Sibiu, les intervenants présents nous rappelaient cette évidence que nous avons tendance à oublier, nous citadins d’une grande ville de France.

Oui, si Internet a été créé pour les pauvres, il est d’abord disponible pour les riches pourvus en accès à haut débit, matériels et logiciels et mettre fin à cette fracture numérique devrait être l’une des priorités des gouvernements du monde.

Dans les contenus mêmes, qui ont toujours été le point fort de l’Internet gratuit, le temps du contenu gratuit est aujourd’hui largement bousculé. L’avènement du phénomène Second Life est une illustration de cette évolution.

Derrière l’esprit communautaire et d’échanges, qui est bien à l’origine du service conçu par Philip Rosedale son fondateur, se cache l’éditeur Linden Lab, sa Société, qui, elle, sait monnayer le liden dollar et la vente de terrains virtuels notamment.

Mais l’argent n’est pas qu’à ce niveau, celui des utilisateurs, il se trouve aussi en haut de la pyramide, là où se joue la gouvernance d’Internet. L’Icann, gestionnaire des noms de domaine, adresses IP et protocoles associés, est aussi gestionnaire de fortunes à sa façon. Tout d’abord, parce que toute vente de noms de domaine Internet de par le monde génère des flux financiers qui remontent en cascade jusqu’à la Société de droit Californien dite à but non lucratif . Pour chaque nom de domaine Internet acheté, quelques dollars us tombent dans les caisses de l’Icann. Ensuite, parce que l’Icann a volontairement organisé la pénurie de noms de domaine depuis des années, en limitant leur nombre. Ainsi, cette pénurie organisée a donné une valeur économique aux domaines Internet génératrice de richesses pour quelques grandes entreprises distributrices des noms de domaine.

Enfin, parce que les protocoles logiciels implémentés sur les routeurs du monde entier pour router les requêtes des internautes vers le destinataire choisi, sont décidés au sein de la nébuleuse Icann par des industriels américains sur représentés, la Société Cisco en tête. L’argent est donc bien sur l’ensemble de la chaîne.

La puissance de l’argent est également dans la Loi.

On pourrait l’appeler les lois du marché. Aux côtés des usages, de la technique, l’économie est également normative pour Internet. La grande Loi qui intéresse l’Internet en France et qui est censée le réguler, est la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) du 21 Juin 2004.

Cette Loi a créé un statut spécial au commerçant électronique, des dispositions spécifiques pour réguler la consommation électronique, un régime de responsabilité très restreint pour les intermédiaires techniques, en bref la Loi régule les affaires, des affaires : on est loin encore de l’esprit des pionniers du réseau.

La Lcen est la transposition de la Directive dite Commerce Electronique de 2000 : pour des raisons obscures, le législateur français a substitué au mot « commerce » celui de « confiance » dans l’intitulé du texte. On pourrait croire à tort qu’il s’agit là d’un des derniers actes de résistance de ceux qui veulent croire encore à un Internet gratuit et pour tous. Cette substitution est trompeuse.

"In God we trust" est bien la devise qui figure sur les dollars américains. Le législateur français a été peut-être le premier gouvernement au monde à nous dire clairement, à moins que ce soit du domaine du subconscient, quel pourrait être la nouvelle devise de l’Internet : "In Internet we trust".